La Stratégie « Controlled Retail » : Une Impasse pour les Marques Horlogères ?

Image d'illustration: un magasin de montres suisses à Londres en mai 2019. — © REUTERS/Toby Melville

Dans l’univers de l’horlogerie de luxe, la gestion de la distribution et de la croissance a toujours été un défi. Récemment, certaines marques se sont lancées dans une stratégie appelée « Controlled Retail », visant à internaliser la distribution et à mieux contrôler leurs marges. Toutefois, cette approche soulève plusieurs questions quant à son efficacité à long terme, notamment en ce qui concerne la gestion des stocks, la relation avec les distributeurs et la cohérence de la communication.

L’une des principales raisons de l’adoption de cette stratégie réside dans la volonté des marques de maîtriser davantage leur distribution et leurs marges. L’exemple le plus marquant est celui de Rolex, qui a récemment pris une décision importante en rachetant Bucherer, un détaillant historique. Ce mouvement reflète la tendance générale dans l’industrie : un contrôle direct de la chaîne de distribution, souvent au détriment des distributeurs tiers. Cette stratégie vise à offrir un meilleur contrôle sur les prix et à maximiser les marges des marques, mais elle comporte également des risques.

L’un des premiers effets de cette stratégie, c’est que les marques réduisent drastiquement leur réseau de distribution. En ne vendant plus leurs montres que dans leurs propres boutiques ou plateformes, elles abandonnent les revendeurs historiques qui avaient pourtant une place stratégique sur le marché.

Le problème, c’est que ces distributeurs jouent un rôle clé : ils permettent à un public plus large de découvrir et d’acheter les modèles phares des grandes maisons horlogères. En les excluant, les marques limite l’accès à certaines montres cultes comme la Speedmaster, la Monaco ou la Reverso. Ces modèles deviennent moins visibles, moins accessibles, et risquent de perdre en influence sur le marché.

En voulant tout contrôler, les marques réduisent leur propre présence et prennent le risque de fragiliser leurs ventes sur le long terme.

En parallèle, les budgets sont aujourd’hui de plus en plus alloués à la communication corporate, avec une forte concentration sur les canaux numériques. Ces canaux sont considérés comme des leviers essentiels pour atteindre une audience plus large. Cependant, cette stratégie repose sur la communication institutionnelle au lieu de mettre l’accent sur les produits eux-mêmes et leur histoire. Le résultat est une campagne marketing souvent générique, moins ancrée dans l’émotion que dans la transparence des produits et leur authenticité.

Le paradoxe réside dans le fait que la transparence voulue par ce modèle « Controlled Retail », censée être un facteur clé d’accélération, a révélé une réalité quelque peu opposée : l’explosion des stocks de produits finis.

Bien que l’objectif initial était d’offrir une meilleure transparence sur la gestion des stocks, la surcapacité est devenue une réalité inévitable pour de nombreuses marques. Le rééquilibrage des stocks entre les marchés, pourtant essentiel pour optimiser leur rotation, n’a pas été effectué de manière efficace. Le résultat : une saturation des stocks qui n’a fait qu’accentuer la crise de surplus de produits.

Dans le même temps, cette situation a mis en évidence l’incapacité des marques à gérer les stocks de manière cohérente. Là où le modèle « Controlled Retail » était censé simplifier la gestion de la demande et des stocks, il semble avoir créé une situation de déséquilibre permanent.

Au final, les marques se retrouvent dans une position complexe : d’un côté, la stratégie « Controlled Retail » les a poussées à contrôler davantage leur réseau de distribution, mais elle n’a pas permis d’atteindre l’efficacité attendue. De l’autre côté, les stocks excessifs et la communication corporate déconnectée des besoins réels du marché montrent les limites de cette approche.

Les marques pourraient donc être amenées à réévaluer cette stratégie pour revenir à une distribution plus souple et plus collaborative avec leurs partenaires, permettant ainsi de mieux répondre aux attentes des consommateurs tout en optimisant les ressources.

Si l’ambition derrière la stratégie « Controlled Retail » était d’assurer une meilleure maîtrise des marges et d’optimiser la distribution, elle n’a pas, jusqu’à présent, permis de surmonter les défis structurels auxquels les marques sont confrontées. La surcapacité des stocks et la perte de flexibilité dans la gestion des canaux de distribution témoignent des effets inattendus de cette approche.

À l’avenir, il est possible que l’industrie horlogère doive repenser sa manière de gérer la distribution et la communication, en cherchant à équilibrer contrôle et collaboration, tout en étant plus réactives face aux besoins et aux attentes du marché. Il s’agit d’un débat crucial pour les années à venir, dans un secteur où l’équilibre entre tradition et innovation demeure essentiel.

Si cet article vous a intéressé, ne manquez pas notre article sur «La fin de Carl F. Bucherer : Une décision stratégique de Rolex» pour approfondir votre compréhension de l’industrie horlogère.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *