L’horlogerie suisse rechute en février

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Après un sursaut en janvier qui laissait entrevoir un début de stabilisation, l’industrie horlogère suisse replonge brutalement. Selon les chiffres publiés par la Fédération de l’industrie horlogère suisse (FH), les exportations se sont contractées de 8,2 % en février 2025, pour atteindre 1,98 milliard de francs suisses. Ce n’est pas simplement une correction technique, c’est une alerte qui touche toute la chaîne de valeur, tous les matériaux, presque toutes les gammes de prix, et surtout l’ensemble des principaux marchés, États-Unis inclus. La Chine confirme son effondrement avec une chute de 25 % ce mois-ci, après avoir déjà perdu 29 % en janvier. Même les États-Unis, jusqu’ici moteur de résilience, affichent un repli de 6,7 % alors qu’ils avaient explosé à +16 % un mois plus tôt. En deux mois, les exportations globales suisses enregistrent déjà un recul de 2,4 %, et ce n’est pas anodin. La mécanique s’essouffle, et ce n’est pas qu’un accident de parcours.

La question n’est plus seulement de mesurer la baisse, mais de comprendre ce qu’elle signifie. Plusieurs facteurs se combinent. Le ralentissement chinois, structurel et prolongé, n’est plus uniquement lié au Covid ou à la répression anti-luxe de Pékin. Il traduit un changement plus profond dans les comportements d’achat d’une classe moyenne en tension et d’une élite qui se détourne de certains symboles traditionnels d’ostentation. La répression anticorruption, les tensions géopolitiques, la montée du patriotisme économique en Chine : tout cela pousse vers une redéfinition de ce que le luxe représente et vers qui il est tourné. Quant au marché américain, qui a longtemps porté l’horlogerie suisse sur ses épaules, il subit de plein fouet l’effet d’un ralentissement post-inflationniste, d’un retour à des arbitrages de consommation plus raisonnés, et d’un marché secondaire qui a fait imploser la valeur perçue de nombreuses pièces.

Le plus frappant dans ce rapport, c’est que la chute touche quasiment toutes les catégories : en valeur comme en volume, les montres en métaux précieux, en acier ou en matériaux intermédiaires reculent. Seules les montres d’entrée de gamme, en dessous de 200 CHF, affichent une timide progression de 2,7 % en valeur. C’est un signal qu’il ne faut pas sous-estimer : la clientèle évolue, et la base du marché commence à prendre le dessus sur son sommet. Le milieu de gamme, en particulier entre 500 et 3000 francs, dévisse de 15,4 %, un segment pourtant stratégique pour de nombreuses marques dites accessibles ou « premium ». Cela indique clairement que ce n’est pas le luxe extrême qui souffre le plus, ni l’ultra-volume basique, mais bien cette zone intermédiaire, celle qui a longtemps porté la croissance post-2010. On entre peut-être dans une nouvelle ère où le marché se polarise davantage : soit l’exceptionnel, soit le fonctionnel.

Quelles solutions envisager dans ce contexte ? Il ne suffit plus de lancer de nouveaux modèles ni de tabler sur le storytelling d’un patrimoine. Le client actuel veut de la valeur claire, du sens, et une expérience. D’abord, il devient urgent pour certaines marques de réduire la cadence. Trop de références tuent la désirabilité. Ensuite, le digital doit enfin être pris au sérieux. Pas comme une vitrine secondaire mais comme un vrai levier de relation client, de transparence sur les pièces, de pédagogie sur la valeur d’un mouvement ou d’une finition. Par ailleurs, une réflexion sur le rôle du marché secondaire devient inévitable. Entre spéculation, décote et confusion sur les prix, l’industrie ne peut plus laisser les plateformes et les flippers dicter la valeur perçue de ses créations. Reprendre le contrôle passe par plus de traçabilité, plus de certification et une approche plus ouverte sur la vie après la vente.

Enfin, et c’est peut-être le point le plus sensible, certaines marques vont devoir revoir leurs priorités géographiques. L’Asie ne peut plus être le seul pilier. La reprise en Allemagne, en Italie ou en Espagne montre que l’Europe n’a pas dit son dernier mot, surtout si elle est adressée avec plus d’intelligence, de proximité et moins de condescendance commerciale. L’horlogerie suisse n’est pas en crise, mais elle est dans une phase d’inflexion. Elle doit choisir : continuer à vivre sur les ressorts du passé ou réinventer sa promesse avec plus de sincérité, plus de précision stratégique et une vraie écoute du terrain. Les chiffres de février sont un avertissement. À elle de savoir s’ils marquent un simple passage à vide ou le début d’un basculement.

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