Mercedes Gleitze : la traversée de la Manche en 1927 et la Rolex Oyster

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Le 7 octobre 1927, une brume automnale plane sur les eaux glacées du détroit du Pas-de-Calais. Sur la plage, Mercedes Gleitze, modeste dactylographe britannique de 26 ans, s’enduit de graisse pour se protéger du froid avant de se jeter à l’eau. À cette époque, un tel exploit – traverser la Manche à la nage – est l’apanage de quelques hommes triés sur le volet, sportifs de haut niveau souvent issus de milieux  aisés​. Mais Mercedes n’en est pas à son coup d’essai : c’est sa huitième tentative en l’espace de quelques années, financée sou par sou en économisant sur son salaire modeste​. Sa ténacité va enfin payer. Après plus de quinze heures d’effort acharné, de Douvres au Cap Gris-Nez, elle atteint finalement la côte française, transie de froid mais victorieuse. Ce jour-là, Mercedes Gleitze devient la première femme britannique de l’Histoire à vaincre la Manche à la nage​, en 15 heures et 15 minutes – un temps record salué dans le monde entier. Son nom entre immédiatement dans la légende de la natation.

La prouesse de Mercedes fascine le public et les journaux s’emparent de l’histoire de cette héroïne inattendue. La presse, intriguée par ses origines modestes et son courage, fait d’elle un symbole d’émancipation féminine dans le sport​. À une époque où les femmes peinent encore à s’imposer face aux hommes, la jeune Anglaise prouve que l’endurance et la détermination ne sont pas l’apanage d’un seul sexe. Pourtant, dans les jours qui suivent l’exploit, des voix discordantes s’élèvent. Une nageuse rivale prétend à son tour avoir traversé la Manche en un temps record, semant le doute dans l’opinion​. De surcroît, l’association de natation anglaise rechigne à valider officiellement la performance de Mercedes, prétextant un manque de témoins lors de son arrivée sur la plage française​. 

Plutôt que de laisser planer le soupçon, Mercedes Gleitze décide de relever le défi une nouvelle fois. Sans hésiter, elle annonce qu’elle va retenter la traversée – un “Vindication Swim” comme la presse britannique baptisera bientôt cette tentative de confirmation – afin de prouver définitivement la véracité de son exploit.

Cette annonce n’échappe pas à un certain Hans Wilsdorf. Le fondateur de la jeune maison horlogère Rolex voit dans la nouvelle traversée de Mercedes une occasion en or de mettre à l’épreuve sa dernière invention. Un an plus tôt, en 1926, Rolex a lancé l’Oyster, la toute première montre-bracelet étanche de l’histoire​. Ce petit garde-temps révolutionnaire, ainsi nommé en référence à l’huître, est doté d’un boîtier hermétique résistant à l’eau et à la poussière comme aucune montre auparavant. Pourtant le public reste sceptique : l’idée qu’une montre puisse survivre à une immersion prolongée semble folle, et beaucoup continuent de croire à la suprématie indétrônable de la montre de poche bien à l’abri dans son gousset​. Wilsdorf, lui, est convaincu du potentiel de son Oyster et cherche le moyen de prouver sa fiabilité par l’épreuve des éléments. La détermination de Mercedes Gleitze lui inspire alors une idée de génie. S’il parvient à convaincre la nageuse de porter l’une de ses montres lors de sa prochaine traversée, l’Oyster pourra faire ses preuves dans des conditions extrêmes. Une démonstration en situation réelle – la preuve par l’épreuve – qui vaudrait à Rolex une notoriété qu’aucune publicité ne pourrait offrir​.

Le 21 octobre 1927, deux semaines après son triomphe, Mercedes Gleitze se remet à l’eau depuis les côtes françaises, à l’aube. Cette fois-ci, un objet inhabituel l’accompagne dans les flots : une élégante montre en or, accrochée à son cou par un fin ruban​. C’est la Rolex Oyster que Hans Wilsdorf lui a confiée, flambant neuve, prête à affronter l’océan à ses côtés. Autour d’elle, les journalistes et les curieux retiennent leur souffle, intrigués par ce bijou d’avant-garde que la nageuse porte comme un talisman. Très vite, la Traversée de la Vindication commence sous leurs yeux. L’eau est encore plus froide qu’au début du mois ; un froid mordant engourdit Mercedes dès les premières brasses. Pourtant, elle avance, obstinée, bravant les vagues grises et les courants traîtres. À chaque heure qui passe, l’épreuve gagne en rudesse : la fatigue et le gel s’insinuent dans ses membres, chaque mouvement devient plus lourd. Mais à son cou, la petite Oyster continue de marquer les secondes d’un tic-tac régulier, comme le battement d’un cœur mécanique plein d’assurance. Deux pionnières avancent ainsi de concert – l’une est une femme en chair et en os, l’autre un mécanisme d’acier – affrontant ensemble les éléments. L’une lutte pour son honneur, l’autre pour prouver sa robustesse.

Au bout de plus de dix heures dans l’eau glaciale, la traversée doit pourtant s’interrompre. L’automne a rendu la Manche implacable : après avoir nagé près de 14 miles, Mercedes, à bout de forces, commence à vaciller, frôlant l’évanouissement​. Son équipe finit par la hisser hors de l’eau pour lui sauver la vie, alors qu’elle est à demi consciente​. La jeune femme n’aura pas relié les deux côtes lors de ce second essai, mais l’essentiel est ailleurs : elle a fait preuve d’un courage et d’une endurance extraordinaires dans des conditions effroyables, dissipant les derniers doutes sur son exploit initial​. Surtout, son étrange compagnon de route a brillamment relevé le défi, lui aussi. Une fois Mercedes en sécurité à bord du bateau, chacun constate avec stupeur que la Rolex Oyster a parfaitement tenu le choc. Après plus de dix heures d’immersion dans une eau à 10 °C, ballottée par les vagues, la montre affiche toujours l’heure exacte et n’a pas pris la moindre goutte d’eau​. Les journalistes présents sont impressionnés, tout comme Mercedes elle-même, ravie de voir la promesse de Hans Wilsdorf tenue. La montre est restée « fiable et précise » pendant toute l’épreuve, confirmera-t-elle dans une lettre enthousiaste adressée au fondateur de Rolex quelques jours plus tard​.

La retombée pour Rolex est immédiate. Le lendemain de cette tentative héroïque, Hans Wilsdorf achète une pleine page dans le Daily Mail de Londres et y fait publier une annonce triomphale, associant explicitement l’exploit de Mercedes Gleitze aux montres Oyster​. On peut y lire, en titre, l’évocation de « la marche triomphale de la Rolex Oyster à travers le monde », reprenant les mots du journal​. Le pari audacieux de Wilsdorf est gagné : l’Oyster vient de prouver son étanchéité hors du commun au vu et au su de tous, et Rolex assoit définitivement sa réputation de fiabilité. 

Sans le savoir, Mercedes Gleitze vient de devenir la première égérie sportive de la marque – en 1927, elle est effectivement la première “Testimonee” Rolex de l’histoire​. Cette approche visionnaire, consistant à associer une montre à un exploit humain, jette les bases du marketing moderne de l’horlogerie. Rolex réutilisera ce procédé maintes fois dans les décennies suivantes, en s’alliant à d’autres aventuriers – nageurs, alpinistes, aviateurs – pour asseoir sa légende. Mais c’est ce coup d’éclat fondateur de 1927 qui demeure le plus emblématique : l’alliance du dépassement de soi et de l’innovation technique, au service l’un de l’autre, venait de montrer sa puissance au monde entier.

Près d’un siècle plus tard, l’épopée de Mercedes Gleitze et de sa Rolex Oyster continue d’inspirer. L’image de la nageuse émergeant des flots glacés, le sourire aux lèvres malgré l’épuisement, avec sa 

montre Oyster intacte autour du cou, incarne un héritage profondément ancré. Celui d’une fiabilité sans faille et d’une résistance éprouvée, alliées à une élégance discrète, même en pleine tempête. En 1927, une femme d’exception et une montre révolutionnaire ont uni leur destin pour prouver que l’ambition, l’endurance et l’ingéniosité peuvent aller de pair. Cet esprit de conquête sereine et de confiance absolue dans la qualité d’un objet accompagne encore aujourd’hui les passionnés d’horlogerie d’excellence. Il rappelle qu’au cœur de chaque exploit humain, il y a souvent un compagnon silencieux sur lequel on peut compter – héritier de la Rolex Oyster originelle et de ses valeurs intemporelles.

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