
L’horlogerie suisse vient de boucler un premier trimestre 2025 en léger recul avec une baisse de 1,1 % des exportations à 6,1 milliards de francs suisses. Derrière cette stabilité apparente, les écarts régionaux se creusent brutalement. L’Asie, qui représente près de la moitié des débouchés horlogers helvétiques, s’effondre de 7,2 % sur la période. Ce repli massif contraste avec la bonne tenue de l’Amérique du Nord, qui progresse de 6,2 %, et la solidité relative de l’Europe, en hausse de 3,3 %. Face à ce réalignement géographique de la demande, les grandes maisons horlogères suisses révisent leurs plans d’attaque, jonglant entre hausses tarifaires, maîtrise de la distribution, et réorganisation de leurs priorités régionales.
Du côté des marques, Rolex a continué de verrouiller son modèle économique en renforçant son emprise sur la distribution. L’intégration du réseau Bucherer lui permet d’absorber une partie croissante de la chaîne de valeur et de maîtriser finement son image auprès des consommateurs finaux. En parallèle, Rolex a consolidé sa stratégie sur le marché secondaire avec un programme certifié de montres d’occasion, captant ainsi une clientèle en quête de modèles devenus introuvables neufs. D’autres maisons jouent également sur l’exclusivité et la rareté pour protéger leur position. Patek Philippe, Audemars Piguet ou encore F.P. Journe maintiennent volontairement des volumes bas, préférant fidéliser une clientèle de collectionneurs exigeants plutôt que d’élargir l’offre.

Le Swatch Group, fortement exposé à l’Asie, a souffert de la chute brutale des exportations vers la Chine et Hong Kong. Pour amortir le choc, il a recentré ses efforts sur des marchés plus dynamiques comme les États-Unis, le Japon ou l’Inde. L’entreprise a aussi lancé une vague de nouveautés dans toutes ses marques, du segment accessible au très haut de gamme, afin de dynamiser la demande. Parallèlement, elle a ajusté ses prix sur certains marchés stratégiques, notamment les États-Unis, où plusieurs modèles, dont ceux de Blancpain, ont vu leurs prix grimper jusqu’à 10 % en réponse à la hausse du franc suisse et à la mise en place de nouvelles taxes américaines sur les produits suisses. Cette stratégie tarifaire vise à préserver les marges tout en maintenant le volume des exportations, dans un contexte où la compétitivité se joue aussi sur la capacité à absorber les chocs monétaires et douaniers.
L’environnement commercial mondial s’est considérablement tendu au début de l’année. Les États-Unis, sous l’impulsion de l’administration Trump, ont imposé un droit de douane de 10 % sur plusieurs catégories de biens suisses, dont les montres. Cette mesure, bien que moins sévère que la menace initiale d’une taxe à 31 %, a bousculé les flux logistiques. Plusieurs marques ont accéléré leurs expéditions vers les États-Unis avant l’entrée en vigueur de cette taxe, provoquant un pic d’exportations en mars. Dans la foulée, les prix ont été ajustés à la hausse, confirmant que le luxe suisse reste plus que jamais une affaire d’arbitrage entre fiscalité, change et prestige. Ces tensions douanières ont aussi joué un rôle indirect dans la baisse des exportations vers la Chine, car elles participent à l’instabilité économique perçue par les consommateurs asiatiques.

Les comportements d’achat évoluent rapidement. Aux États-Unis, le marché reste extrêmement dynamique. La clientèle est jeune, urbaine, technophile, mais aussi bien informée. Elle suit les tendances sur les réseaux, compare les prix sur les plateformes et s’intéresse de plus en plus à la valeur de revente. Les montres ne sont plus seulement des accessoires de statut, elles deviennent aussi des actifs. C’est ce qui explique l’essor fulgurant du marché secondaire certifié, que les grandes marques tentent désormais d’embrasser plutôt que de subir. Aux États-Unis, le haut de gamme reste roi : les montres mécaniques, les éditions limitées et les modèles en métaux précieux continuent de très bien se vendre. On note cependant une appétence plus marquée pour les pièces d’entrée de luxe, comme les Omega ou les Tag Heuer, qui permettent à une nouvelle génération d’entrer dans le monde de l’horlogerie.
En Chine, la situation est radicalement différente. Le marché s’effondre, victime d’un double effet de conjoncture économique défavorable et de prudence accrue chez les consommateurs. Le ralentissement du marché immobilier, la montée du chômage des jeunes et le climat politique plus strict pèsent lourd sur la consommation ostentatoire. À cela s’ajoute le retour massif du tourisme d’achat : de nombreux Chinois aisés préfèrent désormais acheter leurs montres à l’étranger, notamment à Hong Kong, à Singapour ou en Europe, là où le choix est plus large et les conditions fiscales souvent plus avantageuses. Le panier moyen reste élevé, mais les volumes chutent. Les marques, conscientes de cette réalité, concentrent leurs efforts sur leurs clients ultra-premium, tout en adaptant leur présence locale via des boutiques en propre et des actions marketing ciblées sur les réseaux chinois.
L’Europe, pour sa part, reste un socle stable. La clientèle locale fidèle répond toujours présente, tandis que les flux touristiques ont redonné vie à des places fortes comme Paris, Genève ou Milan. L’effet devise joue en faveur de certaines destinations, notamment le Royaume-Uni, où la livre faible attire des acheteurs internationaux. Le continent reste aussi un marché sensible aux notions de durabilité, de transmission et d’authenticité. Les marques qui valorisent leur savoir-faire artisanal ou qui proposent des montres vintage certifiées tirent leur épingle du jeu. On observe aussi un intérêt croissant pour les marques indépendantes, porté par un public connaisseur à la recherche de singularité.

Au Moyen-Orient, la dynamique reste favorable malgré un léger fléchissement des exportations. Les Émirats et l’Arabie saoudite continuent de concentrer la demande, portée par une clientèle fortunée locale et expatriée, ainsi que par un tourisme international haut de gamme. Les clients du Golfe privilégient les pièces spectaculaires, souvent serties, parfois customisées, et montrent un goût prononcé pour les séries limitées et les complications techniques. Le développement de boutiques flagship et l’organisation d’événements horlogers sur place traduisent l’importance stratégique de cette région pour les maisons suisses.
Deux tendances fortes se dégagent de ce début d’année. D’un côté, la montée en gamme est désormais structurelle. Les volumes baissent mais la valeur moyenne par pièce explose. Moins de montres sont vendues, mais à des prix plus élevés, sur des segments où la marge est plus forte. De l’autre, le marché de l’occasion devient incontournable. Il ne s’agit plus d’un phénomène marginal, mais d’un canal stratégique que les marques doivent intégrer, contrôler et rentabiliser. En 2025, la montre de luxe n’est plus uniquement un achat coup de cœur ou statutaire. Elle devient un placement, un actif, voire un vecteur d’identité personnelle dans un monde saturé de produits interchangeables.
Face à ces transformations, les marques suisses avancent sur une ligne de crête. Elles doivent maintenir leur prestige, protéger leurs marges, contenir les effets géopolitiques et répondre à un consommateur plus informé, plus sélectif et plus exigeant que jamais. Ce début 2025 confirme que l’avenir de l’horlogerie ne se jouera pas seulement dans les vitrines de Genève ou sur les salons de la Place Vendôme, mais aussi dans les décisions géopolitiques, les stratégies digitales et la capacité d’écoute des grandes maisons.
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