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L’horlogerie a toujours été un monde de contrastes. Mais jamais la fracture n’a été aussi nette qu’aujourd’hui. Deux blocs dominent : d’un côté, l’ultra-luxe qui s’envole dans des sphères toujours plus inaccessibles, alimenté par une rareté savamment orchestrée et une demande insatiable. De l’autre, les montres connectées qui ont avalé le poignet du grand public en imposant la technologie comme standard. Entre les deux, il reste un no man’s land de marques historiques, autrefois références, aujourd’hui en perte de repères. Le milieu de gamme, qui a longtemps prospéré sur l’illusion d’un prestige abordable, est en train de disparaître sous nos yeux.
Si l’on devait résumer l’horlogerie de luxe en 2024, ce serait en un mot : exclusivité. Rolex, Patek Philippe, Audemars Piguet, Richard Mille, F.P. Journe, ces marques n’ont plus besoin de séduire, elles sélectionnent. Les listes d’attente ne sont plus une contrainte mais un privilège, et chaque nouveau modèle devient un objet de convoitise avant même d’être disponible. Le marché secondaire reflète cette tendance avec des augmentations vertigineuses des prix, prouvant que l’intérêt ne faiblit pas, bien au contraire.
Prenons Rolex. Dans un monde où la plupart des marques cherchent à élargir leur clientèle, elle fait exactement l’inverse. Elle restreint l’accès à ses modèles les plus emblématiques, créant une frustration qui alimente la demande. Même une simple Oyster Perpetual, autrefois une entrée de gamme accessible, est devenue un graal que l’on ne peut obtenir qu’au bon vouloir d’un détaillant. Ceux qui achètent une montre de luxe aujourd’hui ne cherchent pas seulement un garde-temps, ils cherchent une reconnaissance, un statut, un ticket d’entrée dans un club fermé.

Richard Mille pousse encore plus loin cette logique en refusant d’augmenter sa production malgré une demande qui dépasse l’entendement. La rareté devient la règle, et posséder une montre de la marque revient à détenir une œuvre d’art contemporaine, une pièce qui ne se mesure plus seulement à sa fonction mais à son exclusivité. Dans cet univers, plus une montre est difficile à obtenir, plus elle prend de valeur.
Face à cet ultra-luxe devenu inatteignable, l’autre pôle du marché ne se bat même plus, il a déjà gagné. L’Apple Watch est devenue la montre la plus vendue au monde, et son succès repose sur une réalité implacable : elle est utile. Suivi de la santé, notifications, connectivité, elle fait tout ce qu’une montre mécanique ne pourra jamais faire, et elle le fait mieux, plus vite et à un prix dérisoire en comparaison.
Ce n’est pas un hasard si TAG Heuer, Montblanc et même Hublot se sont mis à fabriquer des montres connectées. Ce n’est pas un choix stratégique, c’est une nécessité pour ne pas être totalement obsolètes auprès d’une génération qui ne voit plus l’intérêt d’une montre qui ne leur offre rien de plus que l’heure.
Les chiffres sont là. En 2023, plus de 50 millions de montres connectées ont été vendues, contre moins de 25 millions de montres mécaniques et quartz traditionnelles. La bataille est terminée. Les montres accessibles, autrefois porte d’entrée vers une passion horlogère, sont devenues des gadgets inutiles face à la puissance des écosystèmes Apple et Samsung. L’outil a pris le pas sur le symbole, et l’horlogerie traditionnelle a perdu cette bataille.

C’est ici que se joue le drame du marché actuel. Entre ces deux mondes, les marques du milieu de gamme n’ont plus de raison d’exister. Trop chères pour être une alternative aux montres connectées, pas assez prestigieuses pour rivaliser avec Rolex et consorts, elles sont enfermées dans un espace où la demande s’amenuise à vue d’œil.
TAG Heuer, Longines, Oris, Baume & Mercier, autant de noms qui évoquent une époque où l’on pouvait acheter une montre de qualité sans devoir choisir entre une Apple Watch et une Rolex. Aujourd’hui, qui veut encore dépenser 3 000 euros dans une montre dont la valeur perçue est inférieure à celle d’une smartwatch à 1 000 euros ? Le grand public se détourne du concept même d’une montre mécanique accessible, et ceux qui cherchent de la haute horlogerie économisent un peu plus pour entrer directement dans le monde du luxe.
Tudor est l’une des rares marques à avoir compris l’urgence de la situation. Plutôt que de rester coincée dans un entre-deux, elle a décidé de monter en gamme en multipliant les modèles inspirés de Rolex et en se positionnant sur le marché des passionnés. Elle vend du rêve, pas un simple produit. Grand Seiko suit une stratégie similaire en misant sur l’excellence de ses mouvements et une image plus haut de gamme. Mais pour le reste du milieu de gamme, les choix sont limités : soit elles trouvent un moyen de se réinventer, soit elles disparaissent.
Nous ne sommes plus dans un marché uniforme. L’horlogerie est devenue un monde à deux vitesses, et ceux qui n’ont pas pris position sont en train de se faire écraser. D’un côté, les maisons

de luxe verrouillent l’accès à leurs pièces et transforment chaque montre en objet de désir absolu. De l’autre, les géants de la tech imposent une nouvelle norme où l’horlogerie n’a plus qu’une fonction secondaire.
Le choix est simple. Soit une marque offre de l’exclusivité et du prestige, soit elle propose un produit technologiquement indispensable. Ceux qui restent au milieu sont condamnés. L’horlogerie n’a jamais été un monde tendre, et la sélection naturelle y est plus impitoyable que jamais. Les marques qui n’auront pas compris cette mutation ne seront plus là pour en parler dans quelques années.
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