Trump, taxes et turbulence : l’horlogerie suisse sous la menace d’une guerre commerciale

[FRANÇAIS] VERSION

[ENGLISH] VERSION

La menace d’un retour de Donald Trump à la Maison Blanche ravive les inquiétudes sur un possible durcissement brutal du commerce international. Parmi les secteurs directement exposés à cette vision ultra-protectionniste : l’horlogerie suisse. En ligne de mire, les promesses de Trump de rétablir ce qu’il appelle des droits de douane « réciproques », autrement dit d’imposer des surtaxes systématiques sur les produits étrangers si les États-Unis estiment que leurs exportations sont traitées injustement à l’étranger. Derrière cette logique de rééquilibrage affichée se cache un scénario beaucoup plus frontal : celui d’une guerre commerciale qui, si elle venait à se concrétiser, frapperait de plein fouet une industrie suisse ultra-dépendante de l’export.

L’année 2023 avait pourtant confirmé la solidité du secteur. Les exportations horlogères suisses ont atteint un niveau record de 26,7 milliards de francs suisses, dont 4,16 milliards à destination des seuls États-Unis. Le marché américain est non seulement le premier débouché de l’industrie, mais aussi l’un des rares à avoir maintenu une croissance régulière ces dernières années, avec +7 % entre 2022 et 2023. Une hausse brutale des droits de douane à l’entrée du territoire américain, que ce soit de 10, 20 ou 25 %, viendrait donc frapper le cœur de la dynamique actuelle. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, ses conséquences ne se limiteraient pas à quelques ajustements de prix.

Le secteur repose sur une structure en déséquilibre assumé. En volume, la majorité des montres suisses exportées sont des pièces à moins de 200 francs, mais celles-ci ne représentent qu’une infime partie de la valeur globale. À l’opposé, les montres au-delà de 3000 francs, très minoritaires en nombre, génèrent à elles seules près de 77 % du chiffre d’affaires exporté. Autrement dit, l’essentiel de la rentabilité de l’industrie est concentré sur le haut et très haut de gamme, tandis que l’entrée de gamme assure la diffusion et la présence internationale des marques

Ce sont pourtant ces segments d’entrée et de milieu de gamme qui seraient les plus durement touchés par une surtaxe. Dans un environnement où le prix reste un facteur déclencheur, une montre automatique vendue 700 dollars aux États-Unis deviendrait mécaniquement bien moins compétitive face à une Seiko, une Casio ou une Apple Watch si son prix franchit brutalement les 850 ou 900 dollars. La conséquence serait directe : un recul net des volumes, une fragilisation du réseau de distribution américain, et une perte de visibilité des marques suisses sur ce segment pourtant essentiel à leur rayonnement mondial

Le luxe et l’ultra-luxe, eux, résisteraient mieux. Un client capable d’investir 40 000 ou 100 000 dollars dans une Patek Philippe, une Audemars Piguet, une Richard Mille ou une Rolex professionnelle n’abandonnera pas son achat pour une taxe de 10 ou 20 %. Mais il ne faut pas confondre résilience en volume et impact réel. Une surtaxe de 10 000 dollars sur une pièce à 50 000 n’est pas anodine. Elle ne fera pas chuter la demande structurelle, mais elle pourrait ralentir la prise de décision, décaler des ventes, pousser certains acheteurs à passer par l’étranger ou par le marché gris, voire à arbitrer temporairement vers d’autres actifs de luxe. Au-delà de la mécanique économique, c’est l’image de fluidité, d’accessibilité maîtrisée et de prestige sans contrainte qui pourrait s’éroder. Le luxe supporte les hausses de prix, mais ne tolère pas les frictions dans l’expérience d’achat

Face à une telle menace, les groupes suisses n’ont que peu de marges de manœuvre immédiates. Diversifier les marchés vers l’Asie ou le Moyen-Orient est une option logique mais partielle, d’autant que ces zones présentent elles aussi leurs propres instabilités. Monter en gamme pour compenser les pertes sur l’entrée de gamme suppose un repositionnement stratégique long et coûteux. Absorber la taxe dans les marges peut fonctionner ponctuellement pour les marques les plus rentables, mais reste difficilement soutenable à long terme. Le Swiss Made repose sur un équilibre de perception et de désir qui ne tolère ni approximation ni précipitation. L’industrie est prête à s’adapter, mais pas à sacrifier son ADN

Et si la Suisse décidait de répondre ? Techniquement, elle le pourrait. Politiquement, elle le devrait peut-être. Mais commercialement, sa marge de manœuvre est faible. Le marché intérieur helvétique reste marginal aux yeux des exportateurs américains, et une mesure de rétorsion — par exemple sur les spiritueux, les vêtements ou les biens culturels — aurait peu d’effet sur Washington. Pire, elle risquerait d’installer un climat de tension commerciale durable, nuisible à tous les équilibres diplomatiques et économiques

Ce qui est en jeu dépasse largement les seuls chiffres d’exportation. Une taxe douanière massive sur les montres suisses affaiblirait mécaniquement l’attractivité du produit sur le marché américain. Mais elle enverrait surtout un message symbolique fort : celui d’un recul de la confiance, d’une rupture dans la fluidité des échanges, et d’une banalisation du conflit tarifaire dans un secteur où tout repose sur l’intangible. Dans le luxe, on ne vend pas seulement un produit. On vend une relation, une expérience, un statut. Ce lien peut se fragiliser très vite, et met des années à se reconstruire

Si la politique commerciale américaine devait entrer dans une logique de confrontation systématique, l’horlogerie suisse ferait partie des premières victimes visibles. Et comme souvent dans ce secteur, ce sont les dommages invisibles — perte de désir, désengagement progressif du client, réallocation discrète du pouvoir d’achat — qui s’avèrent les plus dangereux

Osterman Watch
Expertise stratégique pour les marques horlogères exigeantes

Nous accompagnons les maisons horlogères dans leur développement digital, leur visibilité et leur rayonnement international
Stratégie de contenu, positionnement de marque, consulting éditorial, production de formats haut de gamme, communication ciblée

Une équipe indépendante, spécialisée, au service de votre singularité
Nous comprenons les codes de l’horlogerie, les attentes des collectionneurs et les dynamiques du marché

2 commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *